Le monde est traversé par un foisonnement de discriminations. Au quotidien, elles égratignent et certaines personnes plus que d’autres. Il est primordial d’y apporter des réponses. Quelques idées sont ici mises en avant

Petit déjeuner autour de la thématique des discriminations

lundi 23 août 2021

(Les mots ne sont jamais neutres et ils ne le seront pas ce matin dans le débat)

Une vingtaine de personnes invitées sont présentes pour aborder l’épineux sujet de la discrimination, des discriminations.

Quelques motifs (origine, religion, grossesse, handicap, patronyme…), raisons invoquées qui déclenchent une discrimination sont posées sur les tables pour permettre aux participant·e·s d’entrer dans le vif du sujet en prenant place.

Cette rencontre, pour insister sur un ancrage dans le territoire, réunit quatre personnes de la région Nouvelle Aquitaine invitées à s’exprimer pour présenter leur vision de la lutte contre les discriminations et les actions qui en découlent.

Alexandra Duval. Conseillère municipale déléguée à la ville de Poitiers et Vice-Présidente du Grand Poitiers,

Yanis-Jossua Abderrahim-Goulon, défenseur des droits sur le département de la Vienne

Emilie Bourbon et Fabienne Kutten des Ceméa Nouvelle Aquitaine

Laurent Gautier et Alice Chisin de l’association nationale des Ceméa, Samir Chtaïni des Ceméa de Nouvelle Aquitaine assurent l’animation de ce rendez-vous.

La parole est tout de suite donnée aux participant·e·s pour qu’ils·elles puissent évoquer des situations de discrimination dont ils·elles ont été victimes, témoins…et auteur·trice·s (ajoute une participante). Les exemples peuvent être légions, nous avons tous et toutes à un moment ou à un autre participé à ce type d’agression (car c’en est une immanquablement), il y a 25 critères de discrimination. Il est difficile d’échapper à ce déterminisme lié à l’humain.

Depuis la toute petite enfance chacun et chacune a été au cœur de nombre de ces situations, parfois sans en prendre conscience, parfois s’en sans rendre compte, parfois en silence, d’autres fois touché·e dans sa chair, dans son intégrité, dans ses émotions, parfois sans rien dire, d’autres fois en réagissant de manière épidermique ou après réflexion.

Quelques personnes prennent le temps de s’exprimer :

« lors de mon retour dans le giron de l’éducation nationale, lorsque j’ai posé ma candidature à un poste dans une équipe de formation, on m’a retourné que j’étais trop âgée »

« quand j’étais enceinte, dans le bus, alors que je n’avais rien sollicité, un monsieur s’est levé pour me laisser sa place, sa compagne l’en a empêché en lui assénant un : de toute façon, c’est pas toi qui l’as mise enceinte »

« lorsqu’on n’a pas de titre de séjour, de papiers en règle, on ne peut pas à Mayotte ouvrir un compte bancaire, passer le permis etc »

« chez le garagiste pour régler une réparation on m’a demandé ma carte d’identité et si j’avais l’autorisation de mon mari »

« dans l’arrière-pays niçois, une famille s’est vue demandée de déménager afin que son enfant puisse bénéficier de soins »

« lorsque j’ai débuté ma carrière, je me suis retrouvée dans un aréopage d’hommes qui rivalisaient de blagues graveleuses, ma parole ne comptait pas, j’ai été déstabilisée »

« dans une cour de ferme, un technicien agricole m’a dit : il est ou le patron, comme si une femme ne pouvait l’être. »

« dans le 93, il ne se passe pas une journée sans que j’assiste à une forme de discrimination »

« il y a besoin d’un travail sur les mots, on manque de mots positifs, la banalisation de certains termes fait mal »

À la suite de cette dernière intervention, une étincelle de désaccord manque de déclencher un débat sur une question de langue : réfugié·e·s ou migrant·e·s ? Mais, impossible de poursuivre lors de cette rencontre. Dommage !

Il faudra y revenir à d’autres moments.

Certaines personnes sont armées pour se défendre, d’autres ne savent pas comment faire. Lors d’une broutille, d’un conflit naissant, d’une bousculade, il est aisé d’attaquer l’autre (la meilleure défense c’est l’attaque) en empruntant le sentier de la discrimination, c’est sans doute un aveu de faiblesse, sans doute une facilité à disposition de chacun·e.

C’est partout, au pied de chez nous, dans la rue, dans un commerce, entre voisin·es, collègues de travail, à l’école, c’est dans l’air du temps, c’est un véritable phénomène de société qui grossit au fil des années et de jour en jour. Cela fait partie de l’inconscient collectif, du conscient collectif. Personne n’est à l’abri d’en être à l’origine ou la victime.

Laurent rappelle que la lutte contre les discriminations est au cœur du projet des CEMÉA, qu’elle fait partie des principes fondateurs et des valeurs de l’Éducation nouvelle.

Il nous présente l’exposition « Nous et les autres » réalisée avec le Musée de l’Homme et ajoute qu’elle est accompagnée de quatre ateliers pédagogiques pour approfondir le sujet et former les personnes. Alice nous présente ensuite « seriously » projet issu de « renaissance numérique », plateforme portée aujourd’hui par les Ceméa, qui ont créé des parcours éducatifs clé en main pour s’emparer des nombreuses rubriques.

La formation est un outil nécessaire, c’est même le principal outil, c’est par sa problématique que les choses finiront par se diffuser dans les esprits. Elle a besoin aussi d’être conjointe, de s’adresser à toustes les acteurs et actrices qui interviennent dans un domaine avec un même public.

Présenter le sujet, en percevoir sa réalité dans le quotidien, en comprendre les tenants et les aboutissants, en prévenir les effets en sont des étapes nécessaires.

C’est au tour de Yanis-Jossua Abderrahim-Goulon, défenseur des droits sur le département de la Vienne d’intervenir. Il rappelle les prérogatives de sa mission qui comporte cinq champs, dont les deux qui concernent le débat sont la protection des droits de l’enfant et la lutte contre les discriminations. Deux moyens d’action : la promotion de ce qui est proposé et un rôle de médiation. « Nous recevons des personnes qui se sont senties discriminées afin au besoin d’initier une médiation, un arbitrage à partir des éléments à notre disposition, nous sommes trois dans la Vienne épaulés par 250 juristes à Paris. Nous accueillons environ 200 personnes sur une année. »

Une personne réagit en alignant des sigles et autres acronymes (CNCDH, GIP, GELD) et insistant sur ce mille-feuilles où on crée des instances qu’on ne supprime pas. Monsieur Abderrahim-Goulon précise que l’équipe des défenseur·e·s des droits exécute un travail de terrain, est dans l’action, et que cette instance résulte de la fusion ente cinq autres ( dont celles du médiateur de la république, de la défense des enfants, et de la HALDE). En réponse à une question, il confirme que des personnes non vaccinées qui ne pourraient plus travailler peuvent faire appel à lui, mais que l’issue de cette démarche est incertaine.

C’est au tour d’Alexandra Duval, identifiée militante féministe, qui fait partie de la municipalité élue l’an dernier à Poitiers et a la charge de l’action sociale et de l’égalité des droits.

Elle commence par donner l’exemple des city parcs squattés presque exclusivement par les garçons et défend l’octroi pour les filles de temps de non mixité afin qu’elles puissent s’approprier ces espaces ( les city-parc en particulier) en toute sérénité. Elle prend cet exemple parce qu’il a été dévoyé et traduit mensongèrement pour apporter la confusion dans les esprits des administré·e·s (horaires de piscine spécifiques aux femmes voilées…).

« J’ai été élue pour défendre l’égalité des droits dans tous les domaines dont ceux de l’égalité femme/homme et des personnes LGBTQ+ (il n’y avait pas d’attention portée à ce sujet dans l’ancienne mandature). Je mets l’accent sur la formation des élu·e·s (être de gauche ne garantit rien) et je travaille sur les questions de racisme, de sexisme ordinaires en essayant d’avoir une approche constructive. Dès le plus jeune âge, les enfants peuvent être formaté·e·s quant à la problématique de l’égalité filles/garçons, d’où l’importance d’informer et de former les personnels de l’animation. »

Madame Duval insiste sur l’importance donnée aux expert·e·s (elle cite Édith Maruéjouls à propos de « l’aménagement égalitaire » ainsi que sur le fait qu’un budget est symboliquement parlant), aborde la débaptisation de rues, l’écriture inclusive s’attirant les foudres d’une opposition qui rivalise d’arguments oiseux et va jusqu’à parler de cancel culture. « Chaque fois qu’on apporte un sujet, on nous rétorque que ce n’est pas urgent. La lutte contre les discriminations est transversale dans notre projet politique, notre projet social. »

Lorsqu’on est habitué·e à une norme, qu’on a été nourri·e à ses habitudes, qu’on nous a appris à en apprivoiser les codes il est difficile de se rebeller, de résister au mouvement ambiant majoritaire. Changer de vision, c’est changer de modèle.

Dans les cours de récréation le marquage au sol, les lignes discriminent, il y a des enjeux de territoires, de pouvoir, des batailles à gagner (peut-être que jouer à « je déclare la guerre », où il s’agit de gagner du terrain sur le territoire des autres peut aider à y réfléchir). Ce qui se passe à l’école se duplique au fil du grandir.

S’il faut réfléchir à la solution d’espaces dédiés à des temps non mixtes, il me semble que c’est une solution ponctuelle, qui ne doit pas perdurer, c’est un pansement et non un remède. Il n’y a pas véritablement d’acte éducatif si l’on s’en contente. L’acte éducatif doit trouver une autre voie pour prendre corps.

Caroline Criado-Perez dans son livre « femmes invisibles », démontre comment le monde est fait par et pour les hommes et combien cette inégalité est ancrée solidement dans notre société, tranquillement, en silence, presque en catimini.

En ce qui concerne l’occupation des espaces, souvent un public chasse l’autre.

Émilie Bourbon nous présente les actions des Ceméa Nouvelle Aquitaine à Poitiers en insistant sur le travail effectué sur la problématique du dedans/dehors dans les prisons par l’entrée d’une dialectique de déconstruction des préjugés, avec une pédagogie de la dentelle.

Elle aborde également la question de la migration. Le biais de la culture constitue un levier majeur pour travailler le sujet. Émilie donne l’exemple d’une fresque réalisée par des réfugié·e·s dans le quartier des Couronneries, qui au début heurtait la représentante d’un bâilleur social et qui se fond aujourd’hui dans le paysage.

Elle complète sa présentation par la relation d’un travail avec les NEET, financé par la DIRECCTE, sur 23 sites à Poitiers.

Équicienne, Fabienne qui défend avec brio la médiation par l’animal nous parle de son travail avec des publics porteurs de handicap, de comment elle parvient à ce que la tendance s’inverse par l’intermédiaire du cheval, où de dépendant·es les enfants deviennent ceux et celles dont dépendent les autres. Le regard des autres se défige. La valorisation tombe alors sous le sens.

Le croisement des regards des différent·e·s acteurs et actrices est indispensable pour enrichir le travail. La conjonction de divers points de vue du terrain et de regard d’expert·es ne peut que permettre à la réflexion d’avancer et aux actions d’éclore. Il faut s’engouffrer dans les fissures nées des petits fragmentations créées par le martèlement successif de petites initiatives pour faire passer dans le quotidien des projets qui ne sont encore aujourd’hui qu’exceptions.

Ce petit déjeuner, très nourrissant, se termine par la distribution de la gazette, concoctée par Samir qui en profite pour présenter « préjugix » un outil réalisé par une association de Villeneuve sur Lot.

Une belle bouffée de militance et d’engagement roboratifs, la problématique de la formation est le vecteur principal de la multiplication des initiatives, qui déjà fleurissent chez les convaincu·e·s.

Il reste à en convaincre le plus grand nombre. Tâche ardue mais ô combien excitante.

Les rubriques
« L’importance de la valorisation, de la reconnaissance des différentes formes d’engagements volontaires des jeunes » Ludovic Falaix

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